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les amis du néerlandais - vrienden van het Nederlands

Le statut du travailleur transfrontalier (par Audrey Vaniscotte)

Audrey est étudiante en Master Affaires et négociations internationales. Elle a rédigé ce papier très intéressant:

Introduction

La frontière franco-belge sépare la France et la Belgique sur 620 km.

Il s'agit de la deuxième plus longue frontière de la France, après la frontière franco-espagnole (623 km).

Cette frontière franco-belge n'est pas une frontière naturelle. En effet, aucune montage ou étendue d'eau ne sépare la France et la Belgique sur toute la distance. Nous pouvons cependant noter que la Lys forme bel et bien une frontière naturelle entre Armentières en France et Menin en Belgique. Concernant la frontière linguistique, celle-ci diffère selon les endroits. La Belgique est en effet divisée en deux zones linguistiques : la zone flamande néerlandophone au Nord (avec l'exception de la capitale, Bruxelles, essentiellement francophone mais officiellement bilingue), et la zone wallonne majoritairement francophone au Sud.

La France et la Belgique sont tous deux membres de l'Union Européenne et souscrivent par conséquent à l'espace Schengen de 1985. Cet espace vise à abolir les contrôles aux frontières et à ainsi permettre la libre circulation.

Cela facilite notamment grandement la libre circulation des travailleurs d'un pays à un autre. C'est par exemple le cas entre la France et la Belgique : de nombreux français choisissent en effet de travailler chez leurs voisins flamands.

Nous nous demanderons donc ce que représente le statut de travailleur frontalieri entre la France et la Belgique et quels sont ses enjeux.

Afin de répondre à cette problématique, nous dresserons dans un premier temps une présentation générale de ce statut (secteurs d'activité concernés, comparaisons salariales...). Puis, dans un second temps, nous verrons que ce statut n'est pas figé mais qu'il est bel et bien en perpétuelle évolution.


 

I. Le statut de travailleur frontalier entre la France et la Belgique

A. Présentation générale, avantages et inconvénients

La frontière se définit dans un premier temps comme une ligne précise qui délimite une séparation entre deux territoires dépendant de juridictions différentes.

Dans le cas des travailleurs frontaliers, cette définition reste importante puisque la France et la Belgique ne disposent pas d'un même encadrement juridique pour les travailleurs.

Les zones frontalières françaises et belges comprennent un certain nombre de communes bien définies. La liste de ces communes est consultable en ligne dans le Circulaire travail frontalier (c.f Sources).

D'après le guide des frontaliers, publié avec le soutien de l'Union Européenne, le statut de travailleur frontalier ne s'adresse qu'aux travailleurs salariés actifs. Il ne s'applique pas aux personnes cumulant plusieurs activités.

D'après ce même guide, il est stipulé que vous avez le statut de travailleur frontalier si « vous travaillez en Belgique et si vous résidez en France, à condition toutefois d’y retourner chaque jour ou au moins une fois par semaine ».

D'après une enquête de l'INSEE datant de février 2015, ce statut concernait 39 000 Français en 2011 (derniers chiffres connus). Cela correspond à une forte augmentation en comparaison aux 22 000 travailleurs frontaliers de 1999.

Parmi les villes comprenant le plus de travailleurs frontaliers figurent Tourcoing, Roubaix ou encore Halluin. Cette dernière ville dispose par ailleurs d'un Pôle Emploi qui fait figure d'agence de référence sur le transfrontalier.

Les taux de chômage à la frontière franco-belge présente une forte différence. A titre de comparaison, entre Roubaix et Tourcoing, ce taux s'élève à 14,5% tandis qu'en Flandre, c'est à dire à une dizaine de kilomètres, ce taux n'est que de 5%. Cette différence est donc un premier élément qui incite les travailleurs français à rechercher un emploi en Belgique.

Les travailleurs français des villes situées à la frontières belge ont également d'autres nombreuses raisons de privilégier les emplois belges aux emplois français. L'une des raisons principalement citées par les travailleurs français concerne l'employabilité des non-diplômés. En effet, ceux-ci ont plus de chance de trouver un emploi en Belgique qu'en France, où les diplômes et l'expérience priment. En Belgique, les employeurs exigent surtout de leurs travailleurs qu'ils soient « bosseurs » (c.f témoignage d'un travailleur français dans une enquête publiée dans la revue Libération).

Les secteurs qui recrutent le plus en Belgique concernent principalement l'agroalimentaire (chocolat, pomme de terre et abattoirs). Selon l'enquête de l'INSEE mentionnée précédemment, 60% des frontaliers qui travaillent en Flandre occupent un poste d'ouvrier. En France, la majorité des emplois se concentre sur le secteur tertiaire et nécessite que les travailleurs aient des qualifications adéquates.

Un autre avantage majeur cité par les travailleurs frontaliers concerne bien entendu les salaires belges. D'après une étude statistique publiée sur le site en ligne statbel.fgouv.be, les salaires belges présenteraient de forts avantages en comparaison avec les salaires pour des postes équivalents dans les autres pays membres de l'Union Européenne.

D'après cette enquête, un travailleur belge gagne en moyenne entre 2 000 et 3000 euros brut par mois. Ce salaire surpasse bel et bien celui qu'un salarié gagne en France, ainsi que le montre le suivant graphique issu de l'étude précédemment mentionnée :

Ces forts salaires belges doivent toutefois être nuancés.

Concernant les travailleurs belges travaillant en Belgique et les travailleurs français travaillant en France, l'écart salarial est bel et bien important. Il convient toutefois de préciser que le fort salaire belge n'est pas forcément le plus avantageux: en effet, une fois les impôts et cotisations prélevés, le salaire français surpasse le salaire belge.i

Le paragraphe ci-dessus lié aux impôts et cotisations ne concernait jusqu'à récemment pas les travailleurs frontaliers. Auparavant, les travailleurs frontaliers gagnaient leur salaire avantageux en Belgique mais payaient leurs impôts en France, impôts qui sont moins importants qu'en Belgique. Nous pouvons donc arguer que le statut de travailleur frontalier présente un fort avantage : celui qui consiste à gagner un salaire important tout en payant moins de cotisations et d'impôts. En effet, les travailleurs frontaliers ayant acquis ce statut avant le 31 décembre 2011 paient toujours leurs impôts dans leur pays de résidence, c'est à dire en France.

Les emplois en Belgique ne présentent toutefois pas que des avantages.

De nombreux témoignages de travailleurs frontaliers évoquent en effet les heures de travail comme étant un inconvénient.

Légalement, la durée du travail en France est fixée à 35 heures par semaine, soit 7 heures par jour. En Belgique, cette durée est fixée à 8 heures par jour, ou 38 heures semaine.

Illustration 1: comparaison de la durée légale du temps de travail en France et en Belgique

Parmi les inconvénients, nous pouvons également citer le licenciement en Belgique. Contrairement à la France, la législation belge n'oblige pas les employeurs à motiver le licenciement. En droit belge, l'employeur a le droit de licencier son employé, quand bien même celui-ci serait en CDI, à condition de respecter un préavis.

Par ailleurs, en Belgique, un salarié licencié n'a droit à aucune indemnité de licenciement. En France, au contraire, le salarié se voit verser une indemnité légale ou conventionnelle de licenciement. Cette indemnité est entre autres calculée sur l'ancienneté de l'employé.


 

B. Enjeux juridiques du statut

Parmi les enjeux juridiques du statut de travailleur frontalier figurent la sécurité sociale et la fiscalité.

Du point de vue de la sécurité sociale, les réglementations européennes stipulent que le travailleur paie ses cotisations dans le pays dans lequel il travaille. Les travailleurs frontaliers les paient donc en Belgique et doivent par conséquent souscrire à un organisme belge de sécurité sociale.

L'employeur belge doit également inscrire le travailleur frontalier à l'Office National de Sécurité Sociale, où les cotisations seront reversées.

Le frontalier doit également s'inscrire auprès d'une mutualité belge afin d'être couvert pour les soins de santé. C'est auprès de cette mutualité belge que le frontalier doit faire connaître son incapacité de travailler en cas d'arrêt de travail. Mais les frontaliers doivent également être affiliés auprès de la Caisse Primaire d'assurance Maladie française (CPAM).

D'autre part, les mutualités belges couvrent également les congés maternité/paternité/pour adoption. L'indemnisation, dans ces différents cas, est bel et bien assurée.

Dans le cas des accidents de travail, la mutualité belge n'est pas compétente. C'est la compagnie d'assurance privée souscrit par l'employeur qui assure les indemnités en cas d'accident ou de maladie lié au travail.

En termes chiffrés, les cotisations sociales sont « équivalentes à environ 20% du salaire brut pour un frontalier, elles couvrent les mêmes domaines qu’en Belgique, à savoir: la maladie et la maternité, les prestations familiales, les accidents de travail, l’invalidité, le chômage, la retraite, ... »

Concernant les enjeux fiscaux liés au statut de travailleur frontalier, ceux-ci ont connu quelques changements au cours de ces dernières années. Ces changements sont expliqués ci-après.


 

II. Un statut en perpétuelle évolution

Ainsi que stipulé précédemment, en termes juridiques, le statut de travailleur frontalier implique deux grands axes : la sécurité sociale d'une part, et la fiscalité d'autre part.

Le statut de travailleur frontalier permet de contourner la loi qui stipule qu'un salarié n'est imposable que dans l’État dans lequel il exerce son activité et gagne donc ses revenus. Ce régime fiscal de travailleur frontalier permet d'éviter la double imposition, en France et en Belgique.

L'encadrement fiscal lié au statut a connu plusieurs changements au fil des ans.

Entre 2003 et 2008, un travailleur frontalier était défini comme étant un travailleur ayant pour seul lieu de résidence un foyer français et travaillant dans la zone frontalière belge sans quitter cette zone plus de quarante-cinq jours pour l'exercice de son activité professionnelle. Concernant les impôts, c'est en France que les travailleurs contribuables les payaient.

Entre 2009 et 2011, le travailleur frontalier acquérait son statut à condition là encore d'avoir pour seul lieu de résidence un foyer français et cette fois à condition de travailler dans la zone frontalière belge sans quitter celle-ci plus de trente jours par an. Concernant ces jours travaillés hors de la zone frontalière belge, quelques exceptions figuraient (c.f http://www.groups.be/1_44461.htm). Toutefois, en termes fiscal, les travailleurs frontaliers payaient là encore leurs impôts en France.

Depuis le 1er janvier 2012, une nouvelle période a été établie afin d'encadrer l'aspect fiscal lié au statut de travailleur frontalier. Cette période s'étend donc du 1er janvier 2012 à 2033. Ce nouveau régime fiscal permet le maintien du statut de frontalier jusqu'en 2033. Toutefois, depuis le 1er janvier 2012, les nouveaux travailleurs français en Belgique ne peuvent plus obtenir le statut de frontalier.

En d'autres termes, les travailleurs français résidant en France mais exerçant leur activité professionnelle dans la zone frontalière belge devront en principe payer leurs impôts sur le revenu en Belgique.

Concernant les travailleurs qui avaient déjà acquis le statut de frontalier avant 2012, ils pourront continuer de bénéficier de ce statut de frontalier jusqu'en 2033. Les conditions requises sont les mêmes que celles établies durant la période 2009-2011. Ces travailleurs pourront donc continuer de payer leurs impôts sur le revenu en France pendant 22 années.

Un autre changement mentionné dans divers témoignages concernent l'apprentissage du néerlandais. Tandis qu'auparavant, la connaissance de la langue n'était pas nécessaire pour trouver un emploi dans la zone frontalière belge, cela est de plus en plus requis de la part des travailleurs. Des centres de formations sont donc mis en place afin de permettre à ces travailleurs ou travailleurs potentiels (souvent non qualifiés ou non diplômés) d'acquérir des bases en néerlandais leur permettant d'exercer leur activité en Belgique.


 

Conclusion

J'ai décidé de choisir le sujet des travailleurs frontaliers pour ce dossier puisqu'il me semblait tout à fait approprié au thème du séminaire : VIVRE la frontière. D'après moi, ce sont ces travailleurs frontaliers qui vivent en majorité l'expérience de la frontière franco-belge.

Ainsi que j'ai tenté de le montrer, le statut de travailleur frontalier est un statut complexe aux enjeux variés : salaires, secteurs d'activité, cotisations, mutuelle, fiscalité...

La frontière franco-belge, tout comme le régime des travailleurs frontaliers, est sans cesse sujette à des évolutions ou des changements. En effet, bien que l'espace Schengen entraîne l'abolition des contrôles aux frontières des différents pays membres, l'accord stipule également que les contrôles peuvent être rétablis pendant deux ans et huit mois en cas de crise. Cela a donc permis à la Belgique de rétablir ces contrôles avec la France en février 2016, cela en raison du possible démantèlement de la jungle de Calais.

Mais la notion de frontière, en lien avec la Belgique (et par conséquent avec les travailleurs frontaliers) est également au coeur d'un autre débat : celui du désir d'indépendance de la Flandre.


 

Sources

A salaire égal, 600€ de moins pour un belge, Les Frontaliers, 12 mai 2015 [en ligne]. http://www.lesfrontaliers.lu/finances/salaire-egal-600-eu-de-moins-pour-un-belge (consulté en octobre 2016)

Circulaire travail frontalier, groups.be, 17 décembre 2009 [en ligne]. http://www.groups.be/doc/circulaire_travail_frontalier.pdf (consulté en octobre 2016)

La Belgique : un eldorado de l'emploi pour les Nordistes ? France 3, 28 juin 2013 [en ligne]. http://france3-regions.francetvinfo.fr/nord-pas-de-calais/2013/06/28/la-belgique-un-elodrado-de-lemploi-pour-les-nordistes-278965.html (consulté en octobre 2016)

Les salaires belges dans le peloton de tête européen, Statistics Belgium, 2013 [en ligne]. http://statbel.fgov.be/fr/binaries/Lonen_FR_A5_tcm326-239244.pdf (consulté en octobre 2016)

Travail frontalier entre la Belgique et la France, groups.be, 24 février 2011 [en ligne]. http://www.groups.be/1_44461.htm (consulté en octobre 2016)

Travailler en France frontalière : guide pratique du travailleur frontalier, Service public wallon de l'emploi et de la formation, décembre 2014 [en ligne]. https://www.leforem.be/MungoBlobs/527/334/Brochure_France_frontaliere_17_12_2014.pdf (consulté en octobre 2016)

Travailleurs frontaliers, Service public fédéral Emploi, Travail et Concertation sociale [en ligne]. http://www.emploi.belgique.be/detailA_Z.aspx?id=36577 (consulté en octobre 2016)

ALEXANDRE Stéphanie. Impôts : fin du statut de frontalier entre la France et la Belgique en 2033, Le Particulier, 27 avril 2016 [en ligne]. http://www.leparticulier.fr/jcms/p1_1606534/impotfin-du-statut-de-frontalier-entre-la-france-et-la-belgique-en-2033 (consulté en octobre 2016)

CHHUM Frédéric, OLLIVIER Marilou. Paris/Bruxelles : analyse comparée sur la législation sur le licenciement en France et en Belgique, Village de la Justice, 18 avril 2016 [en ligne]. http://www.village-justice.com/articles/Paris-Bruxelles-analyse-comparee,21955.html (consulté en octobre 2016)

MAURICE Stéphanie. Un boulot chez les Flamands, rêve nordiste, Libération, 22 février 2015 [en ligne]. http://www.liberation.fr/societe/2015/02/22/un-boulot-chez-les-flamands-revenordiste_1208019 (consulté en octobre 2016)

PIRONET Ewald. Traducteur : W. Dvebos. La frontière linguistique : une barrière pour l'emploi ? Daar Daar, 14 octobre 2015 [en ligne] http://daardaar.be/rubriques/la-frontiere-linguistique-unebarriere-pour-lemploi/ (consulté en octobre 2016)

RADERMECKER Didier. Guide des frontaliers. Travailler en Belgique et résider en France [en ligne]. http://www.cleiss.fr/pdf/guidefrontaliers_be_fr.pdf (consulté en octobre 2016)

iLes termes « travailleurs frontaliers » mentionnés dans ce présent dossier ne concerneront que les personnes travaillant en Belgique et résidant en France

iSource : http://www.lesfrontaliers.lu/finances/salaire-egal-600-eu-de-moins-pour-un-belge

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