17 Janvier 2013
Jan Blommaert est professeur de langue, culture et mondialisation à L'Université de Tilburg (NL) et à celle de Gand (B).
"La langue devient un instrument par lequel on rend pour des groupes ciblés et non-volontaires la participation à notre société toujours plus difficile."
"En Flandre, le flamand[1] !" Le slogan se porte bien à nouveau. A Anvers, la nouvelle équipe en place utilise le néerlandais comme moyen de manipulation tel un joyau royal, y compris dans sa politique de logement social ; en outre, les services d'interprètes gratuits sont supprimés. Et le ministre Geert Bourgeois (NVA) a donné à Bart de Wever et Liesbeth Homans un bon coup de pouce en exigeant un niveau de néerlandais A2 au lieu de A1 dans le secteur social pour les nouveaux arrivants.
Questionné, la réponse est donnée sur le ton de l' innocence bafouée : "Cela va de soi, que quelqu'un qui veut participer à la vie de la société doit en parler la langue" "Ou est-ce trop demander ?". L'argument a quelque chose d'imparable : nous pouvons faire des affaires ensemble si nous nous comprenons. Et donc qui peut être contre ?
La réponse vient des linguistes comme moi : Les gens qui ont la profession de comprendre les relations complexes entre la langue et la société hochent la tête pour des raisons contraires.
Premier point, mais dans l'ensemble le moins important : utiliser les niveaux européens (A1, A2, etc.) qui sont des abstractions n'a rien à voir avec la réalité de la communication. Concrètement, il n'y a pas de raison que quelqu'un possédant un bas niveau linguistique, ne puisse pas avoir de communication claire et efficace avec une personne de niveau linguistique plus haut. Allons plus loin encore : ceci est la règle et non l'exception, car "le" néerlandais est lui même une fiction.
En réalité, il existe des centaines de domaines dans le néerlandais et chacun d'entre nous en maîtrise une partie très bien, une autre moins et une autre pas du tout. Bien peu de Flamands moyens sont en état d'écrire un acte notarial : c'est pourquoi, les Flamands dépensent beaucoup d'argent pour les services linguistiques du notaire. L'inégalité linguistique est donc la règle, mais pour les communautés qui se considèrent unilingues.
Deuxième point, plus important encore est l'évolution de notre société, la tendance que nous constatons dans la réalité. La mondialisation a crée une "superdiversité" sur deux côtés et ce processus mine la société à grande vitesse. D'un côté, les sociétés de plus en plus diverses comme les nôtres en raison de l'évolution des modes de migration dessinent un multilinguisme invraisemblable et plus seulement dans les grandes villes. De l'autre côté, les "autochtones" flamands sont plus actifs et plus mobiles et les Flamands moyens deviennent de plus en plus multilingues et transnationaux dans le monde du travail. Regardez une heure "l'offre télévisuelle" et vous comprendrez de quoi je parle !
Le plus remarquable à propos de cette "superdiversité" est qu'elle ne soulève pas beaucoup de problèmes de communication. Les personnes ("les personnes moyennes") sont souvent multilingues et ils développent des langues véhiculaires qui les guident dans les situations complexes. L'anglais est un exemple évident, mais on sous-estime aussi le rôle crucial d'une sorte de "néerlandais de la rue" comme langue véhiculaire dans les quartiers de "superdiversité". Le slogan sur plus de néerlandais passe à côté de la réalité.
La tendance générale est donc une tendance au plurilinguisme et non à l'unilinguisme et, compte-tenu de la façon dont opèrent les processus de mondialisation, il n'y a donc tout simplement rien à faire. C'est la raison pour laquelle d'ailleurs notre ministre de l'enseignement, en concert avec l'Union Européenne, a souligné l'intérêt du plurilinguisme pour les citoyens flamands. C'est aussi la raison pour laquelle les membres du monde académique des universités flamandes doivent se plier aux tests de niveau en anglais.
La réalité du multilinguisme s'accorde donc mal avec cette idéologie de l'unilinguisme. Il est tout simplement pas correct de dire que si on parle le néerlandais (et seulement le néerlandais) on peut participer à la vie de la société. On peut simplement participer à la société lorsqu'on parle plusieurs langues. Et le choix de la langue que l'on prend pour sa famille, ses amis et ses collègues n'est pas l'affaire des autorités. C'est une question déterminée par des processus sociaux et la politique n'a guère de prise sur cela.
Et enfin vient la troisième raison. A supposé que l'on obtienne par la pression l'adoption de cette politique, celle-ci deviendrait une forme de discrimination, un obstacle à la participation à la société, au vivre ensemble.
La montée du niveau d'exigence en langue de A1 à A2 par exemple n'aura aucun effet sur la véritable communication entre les personnes. Si on ressent l'impression d'un niveau défectueux de néerlandais avec le niveau A1, celle-ci ne disparaîtra pas avec un niveau A2.
Cette modification ne résout aucun problème , mais en sus créer bien un nouveau problème : La langue devient un instrument par lequel on rend pour des groupes ciblés et non-volontaires la participation à notre société toujours plus difficile. L'effet sera prévisible : il va devenir de plus en plus difficile d'accéder aux structures d'aide sociale dépendant de l' autorité flamande. De moins en moins de personnes pourrons avoir l'occasion de revendiquer des logements sociaux, des allocations, des formes spécifiques de soutien pour la vie quotidienne.
Et cela n'arrive pas parce que régnerait une mauvaise communication dans la réalité. (La recherche ne s'effectue pas sur la situation factuelle, elle ne connaît pas la situation actuelle et ne semble pas y porter un intérêt) Cela arrive parce que la société elle-même a admis, en dépit de la réalité que nous devons être unilingues ; ou plus précisément encore : une société dans laquelle nous sommes avant tout multilingues et nous devons l'être, tandis qu'avec d'autres exigences, nous acceptons un régime linguistique unilingue.
De la sorte, cela s'appelle une société injuste.
[1] il faut comprendre bien évidemment le néerlandais standard (ABN) et non le dialecte
Source : Knack - 14 janvier 2013 - Traduction M.E.